jeudi 5 mai 2016

Repenser la propriété : Les sources du garantisme civique

Un excellent livre vient de paraître.



Sylvette DENÈFLE (dir.), Repenser la propriété. Des alternatives pour habiter, Presses universitaires de Rennes, 2016, Rennes, 220 p.

Cet ouvrage collectif est aussi important que ne l’a été La République coopérative de Jean-François DRAPERI.

On peut ne pas être d’accord avec la position de tous les auteurs de Repenser la propriété, mais ils posent tous les bonnes questions.

A nous de démontrer que le garantisme civique permet d’apporter les bonnes réponses.

Repenser la propriété se situe exactement dans le sillage des préoccupations exprimées dans le Guide du garantisme civique (page 7).

Le chapitre introductif le montre (Sylvette DENÈFLE, « La propriété, axe essentiel des évolutions idéologiques récentes », pp. 9-19).

Sylvette DENÈFLE souligne, elle-aussi, l’évolution du droit de propriété.

Sous l’antiquité, la propriété individuelle était la caractéristique de la puissance du citoyen romain, maître absolu de son domaine et des personnes placées sous sa dépendance (p. 9).

Ensuite, le droit de propriété a accompagné la conception moderne de la citoyenneté en devant servir de sous-bassement à l’exercice des droits de l’individu (p. 10).

De nombreux auteurs du XIXe siècle ont allégué qu’il ne pouvait y avoir de citoyenneté sans propriété (p. 12).

Les solidaristes comme Léon BOURGEOIS et les partisans de la coopération de consommation comme Charles GIDE n’ont pas souhaité remettre en cause cette idée mais ont voulu créer des aménagements pour protéger la propriété face à la montée du socialisme autoritaire (p. 13).

Le système français, après la Libération, a donc reposé sur une promesse d’intégration civique des classes laborieuses grâce au plein emploi et à la propriété du logement (p. 14).

Néanmoins, depuis les années 1970, alors que prévaut le rêve pavillonnaire, la pratique religieuse s’effondre, l’ordre familial est bousculé, le travail devient flexible et les interrogations sur la préservation de l’environnement s’accentuent. Dans le même temps, la nostalgie de l’ère du plein emploi domine. La période de la prospérité gaulliste est le point de référence obligé, une sorte d’âge d’or vers lequel on voudrait revenir  (p. 15).

La montée de la précarité délite la confiance en le travail comme moyen d’ascension sociale (p. 16).

Dans ce contexte, la référence à Elinor OSTROM et sa théorie des communs est une piste intéressante de réflexion pour sortir des impasses de l’individualisme (p. 17).

La volonté d’explorer la logique du partage est exprimée plus fréquemment dans notre société (p. 18), même s’il y a une conscience aiguë des difficultés causées par les habitudes individualistes induites par la propriété absolue et personnelle.

Cette préoccupation rejoint le souci d’une économie du partage exprimé sur le présent blog.

Enfin, Sylvette DENÈFLE rappelle les aspirations d’une certaine jeunesse internationale à la contestation de la propriété au nom du droit à la vie.

En bref, on assiste à la recherche d’une troisième voie entre, d’un côté, le libéralisme individualiste et, de l’autre, le totalitarisme socialiste. Cette voie ne peut être la social-démocratie, le solidarisme ou l’autogestion, qui ont déçu (p. 19).

Cette introduction remarquable de Sylvette DENÈFLE ne peut susciter que l’approbation, avec une seule réserve. La propriété individuelle est qualifiée de « républicaine » pour souligner son lien avec le projet des Jacobins qui rêvaient d’une France de citoyens petits propriétaires atomisés mais libres n’ayant face à eux que l’Etat. On aurait préféré l’expression de propriété « jacobine » pour qualifier ce rêve.

Le terme de « républicaine » pour la propriété individuelle absolue est très contestable, surtout en référence à l’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui proclamait la propriété comme un droit sacré.

En 1789, la France n’était pas une République. En 1804 non plus. En 1820 non plus. En 1840 non plus, et pas plus en 1860. Or, dans toutes ces périodes, la petite propriété individuelle a été fondamentale comme argument pour soutenir ces divers régimes (pour le Second Empire, voir le Centre de la France).

Ce n’est qu’une réserve très limitée. Le propos de Repenser la propriété est extrêmement intéressant et tous les auteurs se situent dans la perspective ouverte par Sylvette DENÈFLE.

Bien entendu, le LGOC ne peut qu’être extrêmement sensible à l’article de Sabrina BRESSON, « La copropriété repensée dans l’habitat participatif » (pp. 103-114).

Au-delà du fait que cette auteure a la gentillesse de citer le n° 51 de Droits et construction sociale (édité par le LGOC), ce qu’elle écrit est au cœur des préoccupations de l’association qui élabore le présent blog.

En page 111, elle s’interroge sur le fait que l’habitat participatif puisse être une alternative ou un renouveau pour la copropriété.

C’est là le sujet que l’association LGOC souhaite voir abordé en suscitant des ateliers pour étudier la copropriété participative.

Certes, Sabrina BRESSON semble reprendre implicitement l’accusation de l’entre-soi portée contre tous ceux qui s’inscrivent dans l’habitat participatif (p. 109).

Un autre auteur en fait autant de manière plus explicite (Yannick TRÉMORIN, « Brèves remarques sur la place de la propriété individuelle dans la division des immeubles bâtis », pp. 67-82) tout en reprenant les arguments classiques des adeptes les plus intransigeants de la copropriété (voir RFCP n° 4, pp. 3 et 4). Cela force le LGOC à être meilleur en présentant ses arguments, même si Yannick TRÉMORIN a l’intelligence de reconnaître qu’en copropriété, seule la personne morale du syndicat de copropriétaires possède le bien immobilier, les détenteurs de lot n’ayant qu’un droit limité à jouir de parties privatives et à être convoqués aux assemblées générales (p. 72).

Des actions conduites par des membres de l’association LGOC prouvent que l’on peut éviter l’entre-soi dans une dynamique citoyenne. Mener une action collective de manière saine et équilibrée en donnant des garanties aux participants permet de recréer de la confiance et du lien social.

Le garantisme civique, qui s’inscrit dans la démarche citoyenne prônée par la loi au titre de l’habitat participatif (article 200-1 du Code de la construction et de l’habitation) et donc à l’opposé de l’entre-soi, contrairement aux complots technocratiques, au corporatisme des rentiers, au dogmatisme des chapelles universitaires et aux réseaux malsains d’influence visant à faire des profits illicites.

Ainsi, les auteurs de Repenser la propriété ne sont pas des partisans du garantisme civique, mais cela ne retire rien à l’intérêt de leurs écrits. Bien au contraire.

Un article défend le droit pour l’Etat d’imposer des contraintes inattendues aux propriétaires (Nicole LEROUSSEAU, « Quelques observations sur le droit de propriété, entre permanence et adaptation », pp. 23-31). C’est au LGOC de démontrer qu’il s’agit d’une erreur au plan constitutionnel. Néanmoins, la même auteure a la sagesse de s’interroger sur la dimension illusoire de la propriété individuelle en copropriété et sur les résistances à la reconnaissance de la propriété des habitants sur des biens communs traditionnels dans des sections de communes.

Un autre article vante les expériences urbanistiques d’insertion des habitants dans l’aménagement des quartiers sans trop s’interroger sur les mécanismes précis qui permettent d’éviter que la participation ne soit un piège à pigeons (Taoufik SOUAMI, « La transition du rapport de propriété au rapport d’usage et de services face aux fondements de la fabrication urbaine », pp. 43-51). Toutefois, l’auteur de cet article a le mérite de mettre en lumière la réticence des technocrates qui emploient une phraséologie participative face à l’irruption des habitants.

Chaque article de Repenser la propriété constitue donc un apport très stimulant, même lorsque les idées exprimées sont contraires à celles du garantisme civique.

La palme de l’article qui suscitera la polémique la plus vive est celui qui défend les squats féministes (Edith GAILLARD, « Les squats féministes : une lutte pour l’émancipation et l’autonomie », pp. 201 à 210). Ce texte nous permet de réfléchir, en réaction, sur la dangerosité extrême de la violence dans un contexte où une grande partie de la population a beaucoup souffert et où son seuil de tolérance face aux agressions est nul. Attaquer les victimes des tromperies de l’Etat en squattant leurs biens, c’est s’exposer à avoir des corps francs dans les rues de France. C’est comme cela que les gauchistes ont miné la République de WEIMAR dès l’origine en contraignant les pouvoirs publics, mêmes lorsqu’ils étaient dirigés par des socialistes, à dépendre de troupes publiques et privées hostiles à la démocratie pour réprimer les insurrections (Horst MÖLLER, La République de Weimar, Taillandier, Coll. Texto, Paris, 2011, 2004 pour l’édition originale, trad. Claude PORCELL, 367 p.)

Le refus de la propriété est compréhensible mais la non-violence paraît impérative aux yeux des membres du LGOC. Le squat est donc toujours difficilement acceptable, sauf quand il s’agit d’une résistance de ménages face à la tromperie et dans l’attente de la décision d’une juridiction.

Quant aux articles de Julien GEORGE (« Qu’en est-il de la théorie générale de la propriété ? Bilan et perspective », pp. 33 à 41) et de João Pedro NUNES (« Visibilité de la propriété, invisibilité de la copropriété. Être copropriétaire de son logement à Lisbonne (1950-2011) », pp. 83 à 91), ils sont tout simplement remarquables. Le président du LGOC avait eu le plaisir d’entendre ces auteurs lors du séminaire de Tours organisé par le groupe de recherche ALTERPROP, rencontre à laquelle il avait participé le 27 janvier 2012.

Ces deux auteurs, sans forcément le vouloir, ont beaucoup contribué à la réflexion qui a conduit à créer la RFCP.

Bien sûr, ils ne sont pas les seuls.

Les historiens Jean NICOLAS, Annie FOURCAUT, Ronald HUBSCHER, Daniel STRUVE et Patrick BOUCHERON y ont aussi contribué, tout comme le géographe Félix DAMETTE.

En droit et en sciences politiques, Jacques LAGROYE, Claude EMERI, Françoise DREYFUS, Nicole BELLOUBET, Pierre LEGENDRE et Jacques ZILLER ont eu un apport essentiel.

Là encore, ils n’étaient pas ou ne sont pas forcément des partisans du garantisme civique (ce qui est d’ailleurs dommage, quand on sait que Mme BELLOUBET siège au Conseil constitutionnel…).

Néanmoins, en tant qu’enseignants universitaires ou comme participants à des projets de recherche, ils ont fourni des bases de réflexion qui, ensuite, ont servi d’outils aux membres de l’association, le travail se concentrant actuellement sur les notions de ressources communes et de partage.

Repenser la propriété, qui résulte donc du travail du groupe de recherche ALTERPROP, est un ouvrage dont la lecture est indispensable pour tous ceux qui s’intéressent au garantisme civique, doctrine défendue par l’association LGOC.

Merci à tous les auteurs de Repenser la propriété pour leurs contributions même lorsque le LGOC n’est pas d’accord avec leurs idées.