lundi 29 juin 2015

De l’autogestion à la démocratie participative

Les Rencontres Nationales de l’Habitat Participatif auront lieu à Marseille des 9 au 11 juillet 2015 (http://www.acteursdelhabitat.com/Les-Rencontres-Nationales-de-l).

La conférence plénière se tenant déjà à guichet fermé et une liste d’attente ayant été mise en place, chacun est invité à vérifier à quelle partie de la manifestation il peut encore se rendre.

Cela nous donne, néanmoins, une bonne occasion d’aborder à nouveau la question de l’habitat participatif.

Les technocrates et les tenants de l’ordre établi manifestent souvent leur mépris pour ce courant novateur.

En effet, certains fonctionnaires détestent les groupes d’habitants qui deviennent autonomes.

Quant aux réseaux de margoulins, ils prétendent que la copropriété est naturellement participative.

Bien évidemment, la copropriété est à l’opposé idéologiquement de la participation. Elle repose sur le bonapartisme et le mythe de la toute-puissance du propriétaire dans ses parties privatives, sur fond d’écrasement de la minorité par l’opposition, et de destruction sociale des payeurs par les profiteurs.

Pour comprendre à quel point la participation n’a rien à voir avec cela, il faut se rappeler d’où elle provient historiquement.

Entre 1955 et 1985, avec une apogée entre 1965 et 1975, la gauche démocratique et les chrétiens progressistes ont beaucoup parlé d’autogestion.

L’organisation syndicale qui a le plus insisté sur ce concept fut la CFDT, dont l’autogestion a servi de marqueur identitaire. Cela lui a permis de mieux résister que sa concurrente la CGT à la désyndicalisation. Aujourd’hui, la CFDT et la CGT font jeu égal, alors qu’en 1964, à la naissance de la CFDT (par déconfessionnalisation de la CFTC), le rapport de force était de 1 pour la CFDT à 3 pour la CGT (Franck GEORGI, CFDT : l’identité en questions. Regards sur un demi-siècle (1964-2014), Arbre bleu, Nancy, 288 p.)...




Les organisations politiques qui ont le plus parlé d’autogestion furent les GAM (Groupements d’Action Municipale, notamment à Grenoble, où le fondateur d’un GAM, Hubert DUBEDOUT, fut maire de 1965 à 1983, ce qui préfigurait la situation actuelle où le maire Eric PIOLLE a été élu sur fond de montée de l’alliance citoyenne). On doit aussi citer le PSU (puis les rocardiens au sein du PS) et le CERES (au sein du PS).

Pour en savoir plus, chacun est invité à lire Autogestion. La dernière utopie ? (dir. Frank GEORGI), Publications de la Sorbonne, Paris, 2003, 614 p. (avec notamment pp. 309 à 322, Gilles MORIN, « Les GAM et l’autogestion », pp. 201 à 219, Frank GEORGI, « Les ‘‘rocardiens’’ : pour une culture politique autogestionnaire » et pp. 187 à 200, Emeric BREHIER, « Le CERES et l’autogestion au travers de ses revues : fondement identitaire et posture interne »).

Des staliniens et des agioteurs n’ont repris le thème de l’autogestion qu’à partir de la fin des années 1970 pour le subvertir en autoritarisme ou en affairisme, l’hypocrisie étant le plus bel hommage que le vice rend à la vertu.

Le penseur principal de l’autogestion fut Pierre ROSANVALLON, aujourd’hui professeur au Collège de France (voir Pierre ROSANVALLON, L’Âge de l’autogestion, Points, Politique, Seuil, Paris, 1976, 187 p., et notamment p. 99 pour l’hommage à la CFDT dont Pierre ROSANVALLON était un animateur).

Le chercheur le plus original du mouvement autogestionnaire fut Albert MEISTER, déjà cité sur ce blog (http://bit.ly/1KbtuT3). Un de ses ouvrages marquants fut Socialisme et autogestion. L’expérience yougoslave, Collection Esprit ‘‘Frontière ouverte’’, Seuil, Paris, 1964, 399 p., avec un passage remarquable de lucidité, page 196 : « Il est sans doute utopique de penser recréer des liens communautaires sur la base de quartiers urbains hétérogènes au point de vue socioprofessionnel et au point de vue des aspirations : les observations faites sur les expériences communautaires d’autres pays, parties de sentiments fraternels et communautaires très vifs, montrent plutôt une tendance à l’individualisation de la consommation et de la vie quotidienne qu’elles voulaient communautaires au départ ».

Albert MEISTER nous a quittés en 1982 et est mort à Kyoto après avoir élaboré une étude sur les groupes autogestionnaires japonais.

Vers la fin de sa vie, il se faisait de moins en moins d’illusions sur les appels à l’autogestion (voir Albert MEISTER, La Participation dans les associations, Economie et humanisme, Les Editions Ouvrières, Paris, 1974, 276 p., et notamment p. 25, « les principes coopératifs ont été repris par le secteur privé ; c’est là que la coopération semble d’ailleurs la plus florissante et, débarrassée de tout souci militant, la plus entreprenante, les coopératives d’agriculteurs et de commerçants se servant de la coopération pour consolider la propriété privée »).

Aux promesses fumeuses émises par des politiciens peu scrupuleux se sont ajoutés les renoncements des syndicalistes autogestionnaires face au peu d’enthousiasme de leur base pour la prise en charge directe de la gestion des entreprises.

A partir des années 1980, l’idée autogestionnaire n’a plus été à la mode. Hubert DUBEDOUT, bien qu’il ait intégré le parti socialiste en 1974, a été mis à l’écart après 1981 avant d’être battu aux municipales à Grenoble par Alain CARIGNON en 1983.

Progressivement, les tenants d’une plus grande implication des populations dans les décisions qui les affectent ont changé de vocabulaire. Au lieu de d’évoquer l’autogestion, ils se sont mis à parler de démocratie participative (voir Loïc BLONDIAUX, Le Nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, la République des Idées, Seuil, Paris, 2008, 112 p., et notamment p. 16 pour cette évolution historique et p. 24 sur le flou de la notion ; voir aussi Antoine BEVORT, Pour une démocratie participative, Presses de Science Po, Paris, 2002, 130 p., livre d’un militant de la CFDT). L’habitat participatif est né de cette dynamique.

Tous ces auteurs sont souvent sympathiques, parfois brillants, jamais ennuyeux, mais ils ne sont pas parvenus à retranscrire en des termes juridiques et institutionnels clairs les notions qu’ils emploient.

C’est pour dépasser cet échec que l’association LGOC, qui élabore le présent blog, propose un schéma que chacun est ensuite libre de contester ou d’améliorer. Le but est de présenter des garanties juridiques et institutionnelles vérifiables, pour ne pas s’en tenir à des idéaux un peu vains et subjectifs, rapidement passés de mode car trop flous.

L’autogestion, c’est-à-dire la prise en charge du pouvoir de décision par les participants d’un groupe, est une excellente chose, mais, pour ne pas être un slogan vide, elle implique une rotation régulière de tous aux fonctions de direction. Quand une structure se décompose en petits groupes qui sont le vecteur de l’action concrète, cette rotation est parfaitement envisageable.

Pas d’autogestion si chaque membre du groupe ne prend pas la direction des fonctions exécutives à tour de rôle. Ainsi, en cas de rotation, le pouvoir d’initiative est réellement partagé.

Toutefois, il ne faut jamais négliger le fait qu’un individu n’est pas seulement un acteur associatif. Chacun est membre d’une famille, tout en étant aussi citoyen électeur, particulier consommateur, et professionnel ayant suivi une certaine formation.

Ceci crée une pluralité de liens d’intérêts légitimes qui doivent être organisés.

En tant que militants associatifs, les individus doivent pratiquer la rotation. En tant que consommateurs, ils doivent accepter la réciprocité et ne pas traiter les autres comme ils n’aimeraient pas que l’on puisse les traiter eux-mêmes. En tant que membres d’un lignage, ils doivent accepter que chacun opère la vérification des contraintes induites par l’héritage dont ils bénéficient. En tant que citoyens d’une démocratie, ils doivent accepter la valeur du pluralisme et l’importance d’une multitude de regards croisés sur les décisions prises au nom de la collectivité. Le bien commun ne doit pas être l’otage de groupes qui pratiquent la connivence. Enfin, les individus doivent pouvoir s’insérer dans des corps intermédiaires qui les protègent, sans que ces derniers ne se transforment en mafias corporatistes. La rotation, la réciprocité, la vérification et les regards croisés permettent justement de faire en sorte que l’intermédiation, tout en étant très utile pour éviter le harcèlement des individus atomisés, ne nuise pas à la vie civique et associative.

La faiblesse des penseurs du courant autogestionnaire a été d’oublier la pluralité des aspects de la vie de chacun.

La participation peut donc être conçue comme une mobilisation effective s’opposant à la manipulation au service des dirigeants, mais pour qu’elle existe, il faut que règne au départ un esprit autogestionnaire et ensuite une volonté de coopération, c’est-à-dire d’agir ensemble, et non de dominer, d’exploiter ou de tromper.

A force d’oublier la diversité des intérêts, on risque de produire de l’élitisme (lorsque la fracture entre dirigeants et dirigés se crée), de l’affairisme (lorsque les conflits d’intérêts sont masqués), du consumérisme (lorsque chaque individu veut jouir de biens et services en se moquant du sort des producteurs), du corporatisme (lorsque des compagnonnages professionnels se structurent pour assurer l’impunité de leurs membres) et du népotisme (lorsque chacun aide ses proches dans le cadre de la lutte des places).

Tout ceci a un sens juridique. Les conflits d’intérêts détruisent la garantie des droits de l’homme exigée par l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. L’absence de rotation fait que l’autorité collective n’est plus établie pour l’avantage de tous, en contravention de l’article 12 de la même Déclaration. Le népotisme implique que la dignité humaine n’est plus vraiment égale aux yeux de ceux qui le pratiquent, en rupture avec l’article 1er de cette Déclaration. Le corporatisme crée une entrave à la liberté d’entreprendre, en contravention de l’article 4 de la même Déclaration. L’absence de réciprocité entraîne rapidement des ruptures d’égalité devant les charges publiques, en contravention des articles 6 et 13 de la même Déclaration.

Toutes ces atteintes juridiques sont sanctionnées par les juridictions, qui font ce qu’elles peuvent lorsque les citoyens, dans leur immense majorité, s’ingénient à violer les principes qui fondent notre société.

Une adaptation des statuts du LGOC sera donc proposée le 31 juillet 2015 pour mettre en place de principe de rotation au sein de comités coopératifs dans l’association. Les comités coopératifs seront le vecteur unique d’action concrète de l’association. Cette approche a déjà été préparée et amplement débattue en amont avec les partenaires. Lorsqu’elle sera mise en place, cela prouvera que l’autogestion authentique est possible. Ainsi, on pourra faire taire les affairistes qui prétendent que la simple possibilité d’exprimer un vote est participative. Le vote est toujours manipulé, notamment parce que le votant est soumis à des pressions de la part des réseaux malveillants. Seule la détention par tous et à tour de rôle du pouvoir exécutif et du pouvoir d’initiative émancipe vraiment. Après, chacun fait de ce pouvoir ce qu’il veut…

Concernant l’habitat, une véritable autogestion peut donc être mise en place et s’harmoniser avec la vitalité des corps intermédiaires, avec le pluralisme démocratique, avec l’acceptation par chacun de la trajectoire dans laquelle il s’insère et avec un comportement authentiquement coopératif (impliquant la réciprocité).


Toutefois, lorsque les pratiques sont bonapartistes, que l’insatisfaction grandit et que des injustices sont commises, comme en copropriété, en aucun cas la coopération puis l’autogestion ne vont émerger grâce à de petites touches de participation. Comme l’a relevé Marie-Hélène BACQUÉ, c’est dans le sens contraire que les choses s’opèrent. On part de l’autogestion pour aller vers l’individualisme (http://bit.ly/1F1lFiL). Quand on part d’une situation malsaine ou des actes déplorables, on préfère logiquement se séparer du groupe, ce qui est sage, car les auteurs de mauvais comportements ont tout intérêt à dissimuler leurs fautes. Ce qui émerge d’une situation dysfonctionnelle, c’est donc l’autotomie (le phénomène du lézard qui abandonne sa queue, voir Marc GUILLAUME, « Autogestion, autonomie, autotomie », pp. 147 à 152 dans L’Autogestion, disait-on ! PUF, Paris, Cahiers de l’IUED, Genève, 1988, 179 p.). Pour que le terreau soit propice à la coopération, il faut donc qu’il y ait absence de conflits d’intérêts et de tensions liées à des fautes antérieures. L’autogestion implique de savoir partir de zéro. Le groupe doit être neuf, et le capital organisationnel positif qu’il représente est préservé grâce à des mécanismes comme la rotation. 

mardi 9 juin 2015

Agir en démocratie, d’Hélène BALAZARD à BLANQUI

Le 29 mai 2015 s’est tenu le salon du Pouvoir d’agir à Paris (Palais de la Femme, rue de Charonne), à l’invitation du Collectif Pouvoir d’Agir.

Le pouvoir d’agir fait référence à l’empowerment déjà abordé ici.

Le salon du 29 mai s’est divisé en trois temps.

D’abord, des discussions se sont tenues autour de stands sur le principe « one to one » (entretiens d’une personne seule avec une autre personne seule).

Ensuite, de petites réunions d’écoute par tables restreintes ont été organisées sous la direction des organisateurs. Puis des délégués volontaires ont tenté de délivrer en tribune une synthèse conforme aux attentes des organisateurs, nul ne souhaitant être désobligeant à l’égard de ces derniers, puisqu’ils ont eu la politesse de mettre en place la manifestation.

Enfin, des actions de citoyens étant partis à la conquête d’un pouvoir d’agir ont été mises en scène dans une petite chorégraphie théâtrale de manière très plaisante.

Les organisateurs ont également fait la promotion de l’ouvrage d’Hélène BALAZARD, Agir en démocratie, Les Editions de l’Atelier, Ivry, 2015, 155 p.




L’ouvrage, tout récent, constitue une clef de compréhension indispensable pour comprendre les comportements de la mouvance qui invoque aujourd’hui le pouvoir d’agir à titre professionnel (à l’opposé des citoyens confrontés à des difficultés qui, eux, vivent le défi de l’acquisition de l’autonomie). Que chacun achète ce livre !

Hélène BALAZARD, qui a étudié l’exemple de l’organisation London Citizens, défend la dynamique de la BBCO (Broad Based Community Organization, organisation communautaire à base large). Elle a également été l’une des initiatrices de l’Alliance Citoyenne à Grenoble (à ne pas confondre avec l’Alliance Citoyenne de Rennes, qui est une association électoraliste centriste).

La BBCO repose sur l’idée qu’il faut redonner du pouvoir aux plus démunis (Agir en démocratie, p. 13).

Pour cela, il convient de contraindre les détenteurs d’un pouvoir à répondre de l’usage qu’ils en font, en suscitant la constitution des collectifs aptes à interpeller les vrais décideurs (Agir en démocratie, p. 19).

London Citizens a donc fédéré des groupes de personnes (et souvent des associations cultuelles de diverses obédiences). Aucune adhésion directe individuelle n’était possible (Agir en démocratie, p. 37).

Le modèle a été suivi à Grenoble, avec une tendance forte à recruter des associations fondées sur une base religieuse (Agir en démocratie, p. 49), même si des individus peuvent aussi adhérer (Agir en démocratie, p. 135).

L’accusation évidente qui vient à l’esprit est celle de communautarisme. C’est pour cela qu’Hélène BALAZARD termine son livre par la formule : « Liberté, Egalité, Fraternité sont des notions qui restent abstraites si elles ne s’expérimentent pas et ne s’incarnent pas concrètement. C’est par la pratique et l’interaction collective que l’on s’approprie ces biens communs » (Agir en démocratie, p. 148). La prétendue abstraction des principes républicains français est opposée par l’auteure à la soi-disant dimension concrète des actions de London Citizens

Ce n’est toutefois qu’une formule de style. Personne n’est dupe sur l’opposition des intérêts entre les organisateurs, des professionnels pratiquant l’entre-soi, et la population la plus fragilisée qui n’a aucune possibilité de manifester sa colère sans qu’elle soit détournée.

Les organisateurs, qui poursuivent leurs plans de carrières, et les leaders, c’est-à-dire les volontaires les plus soumis, définissent seuls les campagnes et les slogans dans le cadre de la BBCO (Agir en démocratie, p. 92).

Les réunions à London Citizens, dirigées par les organisateurs professionnels, sont centrées sur l’utilisation des émotions des volontaires et non sur la capacité de ces derniers à décoder les conflits d’intérêts, à repérer les compagnonnages professionnels et à comprendre les stratégies des réseaux de pouvoir (Agir en démocratie, p. 95).

L’organisation communautaire à base large (BBCO) repose donc sur une infantilisation évidente, doublée d’une utilisation de l’opium du peuple que peut être la religion (qu’elle soit musulmane, protestante, catholique, juive ou bouddhiste) quand elle est déconnectée d’une réflexion théologique solide.

La force de l’ouvrage d’Hélène BALAZARD, malgré ces défauts de la BBCO, est de faciliter le décodage des relations de domination. Ainsi, les citoyens qui veulent s’engager disposent d’une boîte à idées pour éviter certaines dérives.

Cela pourrait être particulièrement utile en copropriété, où la réflexion sur l’action collective est défaillante depuis plus de 50 ans (hormis les excellents travaux de Marie-Pierre LEFEUVRE, avec laquelle l’association LGOC a eu le plaisir de travailler, et de Nicolas GOLOVTCHENKO).

L’influence bénéfique de la pensée d’Hélène BALAZARD est perceptible au sein de l’Alliance Citoyenne de Grenoble. De nombreux citoyens grenoblois de divers horizons et de diverses origines, ont pu se mobiliser contre des contrats contestables en matière de fourniture d’eau chaude à des ensembles immobiliers de logement collectif. Cela concernait autant des copropriétés que de l’habitat social. Les associations traditionnelles de locataires et de propriétaires étaient silencieuses, du fait des partenariats qu’elles nouent avec les collectivités territoriales ou les grandes entreprises.

L’Alliance Citoyenne de Grenoble a permis de contourner les structures de représentation sclérosées.

De ce point de vue, on ne peut que constater l’intérêt de la réflexion appelée par Hélène BALAZARD sur la domination charismatique exercée dans les actions collectives par les organisateurs et les principaux leaders (Agir en démocratie, p. 96).

L’aveuglement quant aux conflits d’intérêts est la principale cause d’échec des actions collectives. Hélène BALAZARD a l’honnêteté de ne pas escamoter cet écueil, en évoquant l’équilibre à trouver entre recherche de financements et quête de l’indépendance (Agir en démocratie, pp. 137 à 138).

« Avoir du pouvoir revient à maîtriser les trois activités de résolution des conflits : nommer (naming), imputer une responsabilité (blaming) et proposer une solution (claming) » (Agir en démocratie, p. 138, l’auteure faisant référence à un texte de FELSTINER, ABEL et SARAT dont l’article est en ligne, voir http://bit.ly/1FO5z6c)

Les organisateurs rémunérés, qui sont des prestataires, ont donc des intérêts intrinsèquement divergents de ceux des bénéficiaires de la prestation, c’est-à-dire les citoyens qui veulent se mobiliser.

Les syndics professionnels sont dans la même situation à l’égard des copropriétaires. Or, il serait ridicule de demander aux syndics professionnels de représenter, contre eux-mêmes, la défense des copropriétaires… De la même manière, si les organisateurs ont mal nommé un problème, parce qu’ils sont liés au processus qui crée la difficulté en question, on ne peut pas compter sur eux pour se flageller spontanément.

A ce sujet, le courage d’Hélène BALAZARD est remarquables car, tout en étant ouvertement liée aux organisateurs de liens collectifs, elle ne dissimule pas ces risques potentiels.

Bien entendu, elle reste optimiste mais un peu floue : « Certains élus, à rebours de leur rôle traditionnel, réfléchissent à susciter le pouvoir d’agir. Des rôles similaires à celui des organisateurs, des catalyseurs d’action collective et des accompagnateurs d’émancipation, se développent également dans ce sens au sein des institutions ou des mouvements citoyens (par exemple en réinventant ou prolongeant les formes dites d’éducation populaire) » (Agir en démocratie, p. 147).

Oui, c’est la vieille rengaine de la démocratie participative, usée jusqu’à la corde faute d’avoir fait émerger des processus juridiques précis fondés sur des principes fondamentaux dont la validité aurait été démontrée au plan logique.

Avant de jeter la première pierre à Hélène BALAZARD et de l’accuser de bobocratie, il convient toutefois de se souvenir de la lettre à MAILLARD du 06 juin 1852 rédigée par Auguste BLANQUI (1805-1881). Ce dernier avait, à l’époque, été mis en prison par le régime bonapartiste putschiste.

Le document, synthétique mais très intéressant, est accessible en ligne (http://www.lafabrique.fr/spip/IMG/pdf_Maintenant.pdf).

On peut également consulter : BLANQUI, Textes choisis, préface et notes de P.V. VOLGUINE, Les Editions Sociales, Classiques du peuple, Paris, 1971

MAILLARD était un militant de la coopération partisan de Philippe BUCHEZ.

BLANQUI, quant à lui, se montrait obsédé par l’action révolutionnaire violente qui devait être conduite au nom du peuple par une élite. Les partisans de la coopération, à l’inverse, souhaitent éviter la guerre sociale et bâtir une harmonie. Aussi, ils manifestaient une vive réserve quant à la frénésie d’affrontements.

Pourtant, MAILLARD déplore, auprès de BLANQUI, la trahison de la Révolution de 1848 par des théoriciens fumeux. BLANQUI, le perpétuel révolutionnaire, lui rappelle, à l’inverse, que la diversité des écoles de pensée et la confrontation des idées n’est absolument pas une faiblesse et ne constitue pas la cause de l’échec, même quand certains peuvent s’égarer.

L’aveuglement quant aux conflits d’intérêts et le flou sur des concepts trompeurs sont bien plus dangereux. BLANQUI relève alors les errements de son interlocuteur à ce sujet. MAILLARD n’a que le mot démocratie à la bouche, sans réfléchir aux divergences majeures d’intérêts entre bourgeoisie privilégiée et masses laborieuses :

« Vous me dites: je ne suis ni bourgeois, ni prolétaire, je suis un démocrate. Gare les mots sans définition, c’est l’instrument favori des intrigants. Je sais bien ce que vous êtes, je le vois clairement par quelques passages de votre lettre. Mais vous mettez sur votre opinion une étiquette fausse, une étiquette empruntée à la phraséologie des escamoteurs, ce qui ne m’empêche pas de démêler parfaitement que vous et moi avons les mêmes idées, les mêmes vues, forts peu conformes à celles des intrigants. Ce sont eux qui ont inventé ce bel aphorisme : ni prolétaire, ni bourgeois mais démocrate ! Qu’est-ce donc qu’un démocrate, je vous prie ? C’est là un mot vague, banal, sans acception précise, un mot en caoutchouc »

Hélène BALAZARD abuse aussi des « mots en caoutchouc », comme la démocratie, le bien commun, etc., mais sur le fond, elle aura œuvré à la réflexion relative aux garanties coopératives.

L’association LGOC travaille sur ces questions depuis 2011 en proposant une vraie coopération dans une action collective. Pour cela, elle prône la rotation de tous à toutes les fonctions, la réciprocité, la vérification, le regard croisé et l’intermédiation (éviter la domination d’individus isolés par les tyrans charismatiques). La BBCO implique le refus de tous ces principes, puisqu’elle renforce la distinction entre dirigeants et dirigés, sur fond de public manipulé, de leaders enrégimentés et d’organisateurs stipendiés.

La bonne attitude n’est pas d’en vouloir à Hélène BALAZARD, d'autant qu'elle a la franchise d'aborder ces problèmes. De la même manière, il serait absurde de jeter le bébé avec l’eau du bain en prétendant que les discussions sur le pouvoir d’agir ne concernent que des rentiers bohèmes mangeurs de subventions.

Ne nous montrons pas plus sectaires que BLANQUI. Reconnaissons l’utilité des regards croisés portés sur les mêmes problèmes par des personnes ayant eu des trajectoires différentes.

Les spécialistes de l’organisation communautaire à base large (Broad Based Community Organization) ont des choses à nous apprendre, ne serait-ce que sur les risques qu’il convient d’éviter, notamment au plan du compagnonnage professionnel et de la domination charismatique des organisateurs.

On comprendra, néanmoins, que le concept d’acquisition du pouvoir d’agir (empowerment) soit préféré ici à celui de BBCO. La dimension communautariste de cette dernière est effectivement malsaine et contraire aux principes constitutionnels français ainsi qu’à la sécurité nationale. Le comportement parfois égocentrique des organisateurs communautaires relève, de surcroît, plus souvent d’un opportunisme cynique que d’un processus d’émancipation du peuple basé sur des principes précis. On y reviendra.