lundi 22 septembre 2014

Les défricheurs d’Eric DUPIN

Un livre remarquable vient de paraître il y a dix jours, dans cette rentrée décidément chargée.

Le journaliste indépendant Eric DUPIN (ayant travaillé pour l’Evènement du Jeudi, Marianne, Rue 89, le Figaro et Le Monde Diplomatique) a signé Les Défricheurs, voyage dans la France qui innove vraiment, La Découverte, Cahiers libres, 278 p., 2014, Paris




L’introduction est disponible en ligne (http://ericdupin.blogs.com/ld/).

Cet ouvrage a reçu l’approbation d’un militant d’EELV sur le site de ce parti (http://eelv.fr/2014/09/11/bifurquer-defricher-et-apres/).

On notera qu’Eric DUPIN a été un proche du CERES (animé par des alliés de Jean-Pierre CHEVÈNEMENT) alors que Christophe GUILLUY est aujourd’hui un compagnon de route de l’ancien maire de Belfort. Pourtant, Eric DUPIN ne partage pas les mêmes positions que Christophe GUILLUY.

Eric DUPIN s’intéresse aux 17 % de Français (selon un sondage, voir Les Défricheurs p. 9) « privilégiant la coopération sur la compétition, l’être sur le paraître, la connaissance de soi sur la domination des autres ».

Eric DUPIN appelle ces Français les « créatifs culturels » selon une expression d’Yves MICHEL, maire divers-gauche d’Eourres dans les Hautes-Alpes (Les Défricheurs, p. 262).

Pourtant, c’est bel et bien un livre sur les coopérateurs en tant qu’ils souhaitent construire une société alternative dont il s’agit.

Le souhait de ces innovateurs contemporains est conforme aux projets de John BELLERS au XVIIe siècle et Robert OWEN au XIXe siècle, que, certes, Eric DUPIN ne cite pas, car il se consacre uniquement aux acteurs de notre temps.

L’ouvrage est une succession de portraits et rend compte de nombreux entretiens. L’axe choisi est résolument journalistique et n’inclut ni une analyse historique référencée, ni une étude juridique étayée des concepts maniés. L’abondante littérature sociologique disponible n’est pas évoquée.

Qu’importe car le propos est toujours intéressant et la réflexion pleine de bon sens. Chacun sera libre d’approfondir le sujet ultérieurement.

D’abord, Eric DUPIN rompt avec le pessimisme ambiant en montrant le dynamisme et la diversité de cette France qui veut construire une alternative à l’hyper-individualisme, au présentéisme et au relativisme (Les Défricheurs, p. 223).

Avec raison, Eric DUPIN montre le poids des penseurs de la décroissance, (Les Défricheurs, pp. 225 à 233), d’EELV (Les Défricheurs, pp. 41, 43, 59, 240 notamment), des anciens du PSU (Les Défricheurs, pp. 55 et 155 notamment) et de la mouvance anarchiste (Les Défricheurs, p. 79) dans ces approches mais montre aussi qu’elles concernent des entrepreneurs bon teint qui sont heureux de se libérer de la pression des actionnaires (Les Défricheurs, p. 201).

On notera le succès de l’entreprise ACOME, 1400 salariés, qui existe sous la forme coopérative depuis 82 ans et de SOPELEC, 2300 salariés, fondée il y a 41 ans, même si cette dernière s’inscrit désormais dans une stratégie de groupe pas forcément intégralement coopérative (Les Défricheurs, p. 187).

Eric DUPIN a le mérite de montrer que le modèle de vie coopératif, et c’est le cœur du sujet, ne relève pas seulement du rêve mais peut fonctionner au plan économique.

Eric DUPIN est enthousiaste, notamment concernant l’habitat participatif qu’il estime peu développé par rapport à la Suisse et l’Europe du nord (Les Défricheurs, p. 156). On note, avec plaisir, les propos de Pierre-Yves JAN (PARASOL à Rennes, http://www.hg-rennes.org/) qui insiste sur le fait que l’on ne peut réussir seul dans ces démarches et sur l’importance qu’il y a à croiser les regards. C’est le principe du regard croisé sur lequel insiste le présent blog depuis sa création concernant l’identité coopérative.

Enfin, l’auteur a la sagesse de montrer le talon d’Achille de ces dynamiques, à savoir une tendance à l’élitisme (Les Défricheurs, pp. 59, 177 et 267), la tentation du repli par rapport à une société perçue comme hostile (Les Défricheurs, p. 269) et l’invisibilité qui en découle (Les Défricheurs, p. 13).

La vision un peu catastrophiste qu'ont ces coopérateurs alternatifs sur la société leur donne parfois une image sectaire (Les Défricheurs, p. 32). A ce propos, Eric DUPIN a raison de dire qu’il n’est pas sain de compter sur l’effondrement de notre univers contemporain car un désastre social a souvent des effets régressifs et favorise l’avènement d’un pouvoir autoritaire (Les Défricheurs, p. 271).

En conclusion, sans verser dans l’idéalisme niais (Les Défricheurs, p. 158), l’ouvrage souligne le caractère insuffisant des appels au progrès fondés sur la promesse de croissance et le rêve d’une société idéale (Les Défricheurs, p. 273).

La seule petite réserve que l’on peut avoir concerne la reprise de propos parfois assez piquants des membres de la mouvance alternative les uns contre les autres. Les journalistes sont toujours friands de ce genre d’échanges. On espère que ces phrases seront bien assumées par ceux auxquelles elles sont attribuées.

Néanmoins, là n’est pas l’essentiel. Eric DUPIN nous dresse un portrait stimulant d’une France qui souhaite innover tout en restant réaliste, notamment concernant la crise de la participation dans les sociétés coopératives (Les Défricheurs, p. 187). Merci à lui pour ce bel effort.

A nous tous de relever le défi, et de conduire la France périphérique, qui se sent marginalisée par le système, à comprendre qu’elle dispose d’une véritable alternative !

Le chemin sera difficile, car les bénéficiaires du système actuel ne se laisseront pas faire. L’habitat alternatif, ainsi, rencontre des résistances car il bouscule les intérêts bien compris et les habitudes établies. Comme le dit Eric DUPIN, « cette société doit être bien fragile pour se sentir menacée par quelques milliers de yourtes » (Les Défricheurs, p. 36).