dimanche 29 septembre 2013

La République coopérative de J. F. DRAPERI

Jean-François DRAPERI est le rédacteur en chef de la RECMA (Revue des Etudes Coopératives, Mutualistes et Associatives, publication qui souhaite être nommée Revue Internationale de l’Economie Sociale) (http://www.recma.org/).







A ce titre, c’est le leader intellectuel officiel du secteur coopératif français.

Dans son récent ouvrage (Jean-François DRAPERI, La République coopérative, Théories et pratiques coopératives aux XIXe et XXe siècles, Larcier, Bruxelles, 2012, collection Droit et économie sociale et solidaire, 327 p.), il retrace l’histoire du coopérativisme et des penseurs qui se sont succédé pour le promouvoir.

C’est plus qu’un excellent livre. C’est un ouvrage qui marquera l’histoire tant du secteur coopératif que du monde de la coopération en général.

Les tenants de l’habitat participatif doivent le lire, et n’ont pas d’excuses s’ils ne le font pas, car ils ne peuvent pas reprocher à Jean-François DRAPERI d’être anti-bobo ou hostile aux institutionnels du coopérativisme.

Quant aux partisans du comportement coopératif compris comme la réciprocité, ils pourront dévorer cet ouvrage avec plaisir et intérêt aussi !

C’est la force incroyable de cet auteur d’avoir pu fournir dans une langue claire un tableau très riche de l’histoire du coopérativisme en retranscrivant, parfois avec des formules d’une grande élégance, les idées de tous les courants majeurs qui ont marqué cet univers spécifique.

Présenter ses propres opinions de manière brillante, c’est déjà bien. Le faire aussi pour ce à quoi on ne croit pas, cela demande plus que de l’honnêteté : il faut de la grandeur pour y parvenir.

On peut être d’autant plus admiratif  lorsqu’on ne partage pas certains choix de Monsieur DRAPERI.

Cet auteur a pu être décrit comme l’incarnation de l’intellectuel bohème (http://olivierlaurant.over-blog.com/article-je-n-ai-pas-aime-l-intervention-de-j-f-draperi-au-conseil-regional-75171871.html).

Ses opinions personnelles sont  effectivement claires et sa vision épiscopalienne du coopérativisme ressort de l’ensemble de ses propos.

Comme il l’explique pour louer WATKINS, un grand acteur du mouvement coopératif international, il faut placer l’unité de l’alliance coopérative internationale au-dessus de la rigueur des théories (p. 173).

La pertinence des explications sur la coopération n’est pas liée à des logiques mais à la force institutionnelle des acteurs qui s’expriment, et notamment sa propre revue : « la REC/RECMA est le lieu de production et de valorisation d’une pensée coopérative qui se présente, dès sa fondation en 1921, comme une tradition à part entière, distincte à la fois des traditions de pensée libérale et critique » (p. 105)

Le coopérativisme étant décrit comme une foi (p. 74) parfois partagée par de petits groupes de croyants (p. 160) et reposant sur des prophéties  notamment celle de Charles GIDE en 1889 (p. 123), on peut dire que la RECMA est la véritable église de cette religion et que Monsieur DRAPERI en est donc bien l’évêque puisqu’il prétend avoir autorité pour définir qui est fidèle et qui doit être excommunié.

A propos de la vision communiste de la coopération qui ne respectait pas les principes définis par l’Alliance Coopérative Internationale, Jean-François DRAPERI explique : « N’est-il pas utile aujourd’hui de bien identifier ces distinctions sémantiques et libérer ainsi le concept de coopération de ces scories ? » (p. 150).

Comme si l’ACI avait le pouvoir, par sa simple parole, de définir ce qui doit être coopération ou non, ce qui est rouge ou ce qui est blanc, ce qui est lourd ou léger, ce qui est feu ou ce qui est eau. Si voyant une flamme au-dessus d’une allumette, l’ACI décrète, « tu es eau », la flamme va-t-elle se transformer par magie ?

Si coopérer est ne pas instrumentaliser l’autre, comme le pensait Robert OWEN, une coopérative, même respectant les principes de l’ACI, peut ne pas correspondre à cet objectif et, en tout cas, cela mérite vérification. Le fait d’appartenir au secteur coopératif ne donne pas un brevet de coopération.

Or, ne peut être appelé coopération, pour Monsieur DRAPERI, que ce qui est conforme aux principes énoncés par le mouvement coopératif international (qui ont varié dans le temps de surcroît). L’Alliance Coopérative Internationale est donc incapable d’errer, et il s’agit-là d’un dogme, un peu à l’image de l’infaillibilité pontificale pour les catholiques.

Dans le même temps, grâce à la lecture de Georges FAUQUET ou Claude VIENNEY, Jean-François DRAPERI a la finesse d’admettre que le mouvement coopératif lancé par Charles GIDE dans une optique quasiment religieuse s’est institutionnalisé et qu’il vaut mieux parler de secteur coopératif (pp. 206 à 210).

Ensuite, Jean-François DRAPERI note que « La théorie de l’intercoopération d’H. Desroche constitue un pont lancé entre le sens restreint donné au concept de ‘‘coopérative’’, c’est-à-dire les entreprises coopératives, et le sens large du terme ‘‘coopération’’, qui inclut toutes les organisations sociales requérant la coopération entre les hommes » (p. 259).

Cela revient, pour l’auteur, à admettre la distinction entre d’un côté, le secteur des coopératives et, de l’autre, la notion de coopération. Un peu comme un évêque anglican qui admettrait que la doctrine de son Eglise et la vraie foi selon la Bible sont deux choses en lien sans pour autant être strictement confondues.

Jean-François DRAPERI va encore plus loin en citant Jacques MOREAU qui rappelait que : « Mouvement social, l’économie sociale doit gagner des membres à sa cause, et elle ne peut le faire en se limitant à affirmer ses valeurs et ses principes, fussent-ils excellents. » (p. 272).

Là où il est d’une rigueur intellectuelle qui en devient touchante, c’est lorsqu’il fournit une présentation convaincante de l’œuvre d’Albert MEISTER (1927 – 1982, mort à Kyoto).

Or, Albert MEISTER est celui qui a lancé le courant des études sur la participation dans les associations.

Jean-François DRAPERI va jusqu’à citer une phrase d’Albert MEISTER en 1961 : « Partis d’un tronc commun, la coopération, le syndicalisme et les partis ouvriers se sont diversifiés et chacun d’eux se trouve aux prises avec ses propres vicissitudes. Mais ils semblent rencontrer dans la désaffection de leurs membres un obstacle commun. Pour eux tous, les possibilités de consommation apportées aux individus par l’augmentation de leur niveau de vie ont affaibli l’esprit de participation et personne ne voit bien aujourd’hui comment ils surmonteront cet obstacle, comment ils ajusteront leurs buts à ces conditions nouvelles » (p. 255).

Albert MEISTER soulignait que plus les coopératives sont grandes, plus le principe de démocratie, dont il est prétendu par l’ACI qu’il participe de l’identité coopérative, est relativisé, la délégation remplaçant la démocratie directe.

Bien entendu, Monsieur DRAPERI croit en la doctrine dont il est le gardien et clame que la participation aux assemblées générales est un facteur de démocratisation (p. 275).

Dans le même temps, il est capable d’avoir des envolées brillantes lorsqu’il remarque que : « Le respect du lien social est ce qui traduit la continuité entre les solidarités traditionnelles et les formes coopératives modernes » (p. 250).

L’assemblée générale où l’on se fait injurier et où personne ne sanctionne les injures, détruit le lien social et n’a donc rien à voir avec la démocratie. Monsieur DRAPERI n’est certes pas d’accord, mais il a la gentillesse de retranscrire les idées autres. On ne peut que l’en remercier.

En examinant la coopération dans le tiers-monde, Jean-François DRAPERI remarque aussi que : « Ces interventions s’appuient sur la participation des populations dans un esprit de défense des droits fondamentaux de la personne » (p. 237).

Justement, ce qui fonde la pertinence d’une action collective, c’est sa capacité effective et immédiate à garantir la sauvegarde des droits fondamentaux des participants.

L’aspect le plus agréable de ce livre est donc sa faculté à donner de la coopération une image plus intéressante que ce que produit le strict coopérativisme institutionnalisé.

Bien entendu, on peut émettre des doutes ponctuels sur certains commentaires, notamment à propos d’Auguste FABRE, présenté comme simple socialiste au sein de l’Ecole de Nîmes aux côtés de GIDE et DE BOYVE qui auraient représentés les chrétiens (p. 93). Auguste FABRE était fils de pasteur et pas forcément athée…

Ensuite, NEHRU n’a jamais été président de l’Union Indienne (p. 242).

Ce sont des détails sans importance au regard de l’érudition de l’auteur. C’est cette érudition qui l’amène à commenter des courants avec lesquels il n’est pas en phase, mais dont il admet l’intérêt.

La science politique et le droit constitutionnel, notamment à propos de la notion de démocratie, ne sont pas sollicités par Jean-François DRAPERI mais, en citant Albert MEISTER, qui focalisait bien plus son attention sur ces points, l’auteur se prémunit contre cette critique.

En bref, il faut courir commander ce livre ou l’acheter à la Confédération Générale des SCOP (A l'accueil, 37 rue Jean Leclaire, 75017 PARIS).